| par Jenny Grandjean

Semer l'avenir 2023

Une toute petite graine

Pourquoi ce geste de semer est-il si touchant ? C’est en fait un geste millénaire qui nous relie à des hommes qui l’ont accompli depuis des millénaires.

Connaissez-vous le semeur de Van Gogh ? Ce petit tableau rayonne de manière impressionnante. Une terre d’automne vivante, bleue, brune, violacée prête à recevoir les grains dorés du semeur sombre auréolé par un grand soleil jaune. A côté un vieil arbre taillé mais avec de jeunes rameaux annonçant le renouveau.

Ainsi on ensoleille la terre d’avenir en semant les grains de blé.

Plusieurs mystères du vivant

Le premier. J’ai un grain de blé en main.

Il est à la fois graine, c’est-à-dire aliment pour faire du pain à partager entre co-pain, en cassant la graine. La plante donne la substance pour nourrir animaux et humains.

Mais il peut aussi être semence, ce que nous allons faire. C’est-à-dire qu’il permet à la plante de se reproduire et poursuivre son évolution.

Donc le blé produit et se reproduit.

Deuxième mystère

La semence dans le récipient est un simple point conservant tout le potentiel de la future plante. Il a fallu des millions d’années pour que le végétal invente la graine, c’est-à-dire un stade ayant la capacité de conserver la vie nouvelle à l’état latent. La graine est à l’état de dormance et cette dormance sera levée quand

Que se passe-t-il quand le grain germera ? Imaginons son devenir dans trois espaces successifs :

Regardons la terre sous nos pieds, souple, vivante, mais difficile à pénétrer pour nous. C’est là que la plante se développe d’abord par des racines profondes, d’abord verticales pis en toutes directions. Elle va créer et nourrir son sol

Ensuite, regardons tout l’espace autour de nous à l’horizontale, le paysage façonné par l’homme en coopération avec plantes et animaux. C’est là qu’au printemps la plante va déployer ses tiges et ses feuilles. Cela donne aussi la paille pour les animaux et le futur compost. Cette substance nourrit le domaine.

Finalement levons les yeux vers le ciel. C’est dans cette direction qu’aura lieu la floraison – chez le blé tout le champ fleurit en même temps – qui a lieu en lien avec les influences cosmiques de la lumière et de la chaleur d’été.

Ainsi il faut tout ce riche environnement triple pour former le prochain grain.

Donc en 3 phases successives – la graine, point, la tige, ligne, et les feuilles, plan - la plante se relie à son environnement pour créer de la matière vivante à partir des éléments de l’environnement. Puis elle se contracte et concentre toutes les substances dans l’épi, dans les grains qui achèvent ce cycle.

On trouve là une belle image de la vie humaine. Le bébé, point dans le ventre de sa mère puis le jeune enfant qui se dresse entre terre et ciel, l’adolescent et jeune adulte qui accumule les expériences dans le monde comme les feuilles qui lui permettent de grandir comme la tige pour finalement atteindre la fleur de l’âge et ensuite l’âge mur en concentrant la sagesse acquise.

De même on peut se demander si notre société de croissance ininterrompue ne devrait pas s’inspirer de la plante pour s’acheminer vers une concentration sur l’essentiel comme le montre la plante en formant son grain.

Le grain récolté servira à faire du pain. Qu’est ce qui donne le gout au pan. Est-ce seulement la composition de la farine ou aussi toute son histoire. De la semence mise en terre en passant par la croissance ave les saisons et les éléments. Tout ceci se condense en substance vivante dans le grain du lieu. Puis à partir du grain créé par le sélectionneur, cultivé par le paysan, moulu par le meunier, panifié par le boulanger, il reviendra au mangeur qui est plus qu’un simple consommateur ou même, pire un « bouffeur » d’honorer le produit, de trouver sa dignité de mangeur.

Aujourd’hui à nouveau menaces sur les semences venant de la Commission européenne qui veut autoriser de nouveaux OGM nommés NTG (Nouvelles techniques génomiques) sans obligation d’étiquetage et de traçabilité car la proposition considère qu’il s’agit de techniques équivalentes à la sélection naturelle. Cependant il s’agit toujours de sélection réalisée en laboratoire pas in situ, pas dans le champ dans tout le contexte global de la nature. C’est une grande différence. Comme dit Goethe, il ne suffit pas de penser au quoi mais il faut aussi penser au comment.

Ainsi je vous invite à être attentif, aussi en Suisse si votre moratoire sur les OGM vient à sa fin, d’exercer votre expertise citoyenne. Nul besoin d’être spécialiste pour dire que j’exige en tant que mangeur à savoir ce que j’ai dans mon assiette.

Pour terminer sur une note positive, je voudrais vous rendre attentif à ce que nous allons faire. Nous allons mettre des semences en terre. C’est fantastique car cela prouve que nous avons confiance dans l’avenir. On sème et le moment où ça germe est une vraie joie. Ça pousse !

Cela nous apprend une attitude à exercer aujourd’hui à une époque où l’avenir parait fermé, où nous avons l’impression d’aller dans le mur. Trouvons dans notre quotidien des moments où comme la semence nous faisons le point pour nous ouvrir à l’a-venir qui s’ouvre à nous, pour innover véritablement. Cela demande de s’isoler du flot des sollicitations des médias et autres réseaux sociaux pour se concentrer.

Semons l’a-venir aujourd’hui et aussi souvent que possible pour trouver des idées vraiment nouvelles et participer au renouveau si nécessaire aujourd’hui pour l’avenir de la planète et de l’humanité.

 

Jean-Michel Florin, codirecteur de la Section d’Agriculture du Goetheanum